Un Filleul de Gilles de Gouberville

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Barfleur">Gallica

M. Paul le Cacheux, notre très distingué collaborateur, a découvert dans les Archives Nationales un document qui n'est pas sans intérêt pour l'histoire de la Basse-Normandie, ci qul jeLte tin jour curieux ui lea niurs de ta seconde rnoltlé du XVI' siècle, c'est une )ettre de grAe ou dc remission, ocLroye par Ic roi Charics IX, en mars 156L. A Un i)OL)itaIIt do Saint-Pierre- Eglise, appelé Guillaume Dyenis(1) I.e document vient dCtre publlé par M. Le Cachoux ciul Va accompagné et éclairë d'izi intéressaut coinmc.ntasre. (2) Les letires de remission sont nombreuses dans les Archives et. constituent. comme l'a montrC déjà M. Le Caclicux Iui-mrite, (3) unc source importantc d'inlormation historiquc. L'intérêt tout particulier de celle-ci vient de ce quclle lious renselgile sur les avcnLurc, lea odeux tor.falts et in mort dxii- matique d'un bandit normand, Glues le Marc[iand, sleur de flaRoville, igul nous taIt déjà colillu comine corsafte par le Journal de son parraln, le sire de Gouberville. (‘i) Le Joiwnat laissait cueIque peu dans I'ombre La figure de ilalTovIlle ; grace a Ia publication de M. Le Cacheux, die flOUS apparatt aujourd'hui en pleine Lumlére. ( Rafloville, écrit le savant archiviste datis son commentaire, Sc révéle a nous comme une Norte de bandit de belle allure, 4C laissant outralner aux pires violences et commettant des crimes atroces. aussi redoute do sea VOISinS qu'II pouvalt l'Ctro des équipag's des navirea auxqucls ii donnait Ia chasse, meprisant In justice et narguant le roi. 11 eat imposibIe entre parraill et lilleul do relever contrasto plus flagrant. Vie paisible et ordoiinée chez le premier, vie de coups de force et d'aventures cliez is second. L'un, genlilhommc carnpagiiard trës avisé, préoccupé urwit d'arnéliorer son domaine, soigntu de sa sauté et de celle de sea gens, arbitre des querelles locales et des coiitlits dinterCt entre paysans inontre le scud constant de vi'vrc Cli boflS terities avec lea autorilés et entretient des rapports d'amitié avec bus les l)roprlétaires du voisinage. . L'autre qul, an cours de sa rude existetice de corsaire. s'est dépouillC de tous scrupules, habituê aux razzias fructueu8es et aux vols Li main arméc, cnéprlsant as propre vie autant que celic dautrul, eat plutôt Un che( de bande qu'un noble tenant let ; toujoura snr mer ou pnr lea chemins. ii ne semble prendre pied dons SOIl manoir guentre deux expeditions, pour y déposer Ic prodult do ses pillages ; ses exploits sur terre valent ses proucases navalea ci sea dériiChs avee Is justice tie rappelleut en rien lea nombreux procès quo Gouberville soullent pour faire respecter sea drolts on defendre sos intdrCts. Tous lea deux d'ailleurs. sent blen de leur Lelnps. Nestce pas en effet; sons cc double aspccL que nous apparalt Ia noblesse Irançaise du XVP siècle ; attact)ée a Ia terre natale et arnie des aventures, rude de rnurs et volontlers troudeuse, comptant parmi sea membres des gens de sac etde corde comme Raflovillc ou On eiineiul Ravalet et des agricuitcurs a l'esprit bien éveillé OU aux goeta sdenLaires comine Ic oliátelaiii du Mesnil-nuVal. n (1) Void une breve analyse des faiLs quo nous révê)g is lettre de remission. Deux frères, Gulllauine et Jean IJyCnis, vivaieixt a Saint—Pierre-Eglise. prés du nianoir de Hatlovillo, dana unc ltostilitë marquee l'ëgard du cClôbre corsaire. A La suite dune scene de brutalité ci do voles de tait, Rafloyule tnt condamné par Ic lieutenant du baillage a payer tine provision allmentaire A sea deux voisins, ou A défaut A voir son bCtaiI saisi. Ialtovllle jura des venger. Eu p1cm jour, It comnença par s'crnparcr do Guillautne eL par l'incarcerer dans son nianolrou ii U l'enferra et Ic gardu prisoitnier pendant touic une seinaine. Le maTheureux ne parvint A rccouvrer sa liborté que grAce A (C un secret qu CLait eli Ia itiaisofl )i eL par oi II put s'Cvader. Cependant Jean Dyênis s'était rondu A Quettehon chez Ic 5cr- gent dë I'eiidioit, pour Is vente du bClail saisi qui devalt avoir lieu to lendemain. liafloville l'apprlt, partit A Ia chite du jour a Is tête do 15 A 18 liommes et vera minuit eiivahit Ia inaisoit du sergent oü sommeiflait paisiblciueiit Jean DyCnis. Les portes brls&s, Raltoville et sea amls complices s'ciiparCreiit do l'inlortuiiC, Ic liarent, Lul coupardnt le nez, lea aurcilles et lul crevOreni lea yeux. aprés quol ledit flalfoville l:attacha A Is queue de soil cheval, sur lequol il monta et le trayna dçpuis lcdit boiirg do Quetheon jusu'el1 sa inaison de Salnt—Plerre—EgIlse, on Ctant arrivC, (II) 111 chanlfer Ull four tout chatilt, dans tepid Ii le lit mettre vil et y demoura jusqu'A ce qu'll feust cOnsommé en cendres. n tin décret de prise de corps fut lance contre Ic brigand, Mais conime 11 tenait tort en as inalsoit et avaiL itoinbre d'artilleric ot gcns pour Ia garde dicelle 11 lallut presenter req uCte au parlernent de Ilouen pour obtenir lassistance de Ia force armCc. Un sergent tilt envoyO u acconspagné de plusleurs personnaiges A pied et cheval . Arrivé A Is porte-du manoir, Ic sergent cominença par donner A haute voix lecture des décrcts. Mais RalToville, faisant porter La pondre, jul envoys utte voiCe do coups de canon et dépCcha sea serviteurs dana lea paroisses des alenlours pour faire sonner le tocain et provoquer LH) atlroupement cli armes. Devant cette manifestation, lagent de Is loi prudent, se replia, en ben ordre avec son escorte. On se décida alors A recourir A Is ruse. Lea dOcrots de prise de corps lurent remla A Un autre sergent, nomin(Jlivier Fleury, déjà porteur cl'un autre (lécret pour homicide de maitre Jacques Troulde u II priL avec Iui quelques hommes dCterminés, parmi lesquels était Guillaurne DyCnis lulméme, et vint se cacher près du manoir. Mais le corsaire seinbialt Ilairer le danger, II tie bougea pas. Le sergent et sea homines durent abandoitner leur retraite et. avant le jour, vinrent s'embusqucr pros de Ia porte du manoir. prCts A salsir leur homme des quit Iranchiralt le seull. Au lever du soleil, RaiToville sortit. Voyant qLl'OL) lul coupait Ia retraite, ii se jeta dana uiie dtable et sy barricada du ilneux (JU'il put avec noinbre de sea eiia. Fleury Lui ayant signilié les décrcts Ic soinma de. se rendre. c Mort-L)ieu, poitrons, répondit Ralloville, vous n'êtes (jue canaille. Voits ne inc Ierez rien. Narguc pour vous, le Roy et sa justice. Je tie vous obCirai pas. Bran pour votre Roy et sa justice . Puis ii cria A sea serviteurs de tirer l'artillerle, de lecher lea chiens, d's 11cr soiiner lea cloches dana lea paroisses pour assembler Ic peupte. Le combat a'engage avec acliariiemciit. Mais tout a roup une lueur briUe au somniet de létable: tine lance A (en jetée du iuanoir sur lea assiAgeants a dépassé son but. En un cliii d'ail. le bátlment ncst plus (Ju'LIII brasier. SulloquC par Ia tuiiiée, Halloville demande all y a au geIltIlboHulne dana Ia compagnie pour se rendre. Le 8ieur du Buissoit S'avai)ce, mais Ic corsaire declare Lie puS le reconnaltre et, saisissant une lourclie. essale de se frayer tin passage. Dana la inléc terrible qul s'ongagc, Il roule bientOt a terre, blessC, souS lea coups do dague ci de fourclie. Le voilA enlin. solideincut lie avec des cordes, entre lea mains des gens du rol. RafToville tut tralné A pied A Barfleur; Là as biessure fut pansée et ii lut place par ses gardiens dana une hOtcllorie. Encore tine fols, ii nianqua d'écliapper A Is justice, car deux de sea amis A is tête dune baude armCe tontOrent do l'enlever au milieu de Ia nuit. La lutte fut vive et lea assaillants furent repousses. Mais Ralloville, au premier bruit, sétait ide A baa de son lit en chemise Ct, anne dune épée oubliCe sur Ia table, avait couru sus a Dyéuis et A sos compagnona. 11 aalt cornpté sans La bLessure pansée Ia veille, qu'II portalt au cté; l'appareil que Ic chirurgien y avaiL poaó se déplaça et lore, II sortit into grando eflusloit do sang, et A l'lnstant le dit BalTovilie dCcCda on Ia dicte chambre. Tols lurent los crimes atroces eLla fin tragiquc du sire de ilafloville. Lo document publiC par M. Le Cachcux, jetto, on IC volt, unc lumiOre itouvelle sur lea murs en Normandie dana Ia seconde nioitiC dii XVI” siècle. Co duel dramuitique entre Is justice du Hol et cc petit geutflhommc, corsaire ci bandit, soutenu par ses ainis et par ses paysails réunis nu son dii Locsin, nous en dit long stir Ia vie privee de certaixis nobles de l'Cpoque, stir IaLtitudc des populations a regard des sergents du ml, enlin sur Is force croissantc do PautoritC royale et Iiincric des olliclers royaux qul font malgré tout quo force reste A is Id,

Auteur

E. Chassigneux

Ouvrage

Revue d'études normandes, Novembre 1907

Année

1907

Source

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