Jean Paul Victor HUBERT

Biographie, par Henri BOUCHÉ

L'un des plus grands et des plus jeunes ingénieurs de l'aviation française, Jean Hubert, créateur de l'avion qui détient depuis trois ans le record du monde de vitesse, est mort le 2 novembre des suites d'un accident d'automobile survenu le 31 octobre et où Mme Hubert fut elle-même sérieusement blessée.

Né le 4 novembre 1885 à Saint- Vaast-la-Hougue, où son père était docteur, Jean Hubert débutait dans la vie, comme ingénieur électricien, quand l'aviation se révéla. Il lui voua aussitôt sa pensée et son effort techniques, fut à Auvours un des premiers passagers de Wilbur Wright, travailla à la Compagnie de Navigation Aérienne qui exploitait la licence Wright, y fit son apprentissage de pilote, passa chez Breguet, devint en 1911 l'un des meilleurs collaborateurs de M. Robert Esnault-Pelterie, puis — à la fin de 1912 — l'un des associés de la nouvelle firme Nunez-Hubert-Pascal qui avait une école à Étampes.

Engagé au début de la guerre, il perfectionnait à Avord sa formation de pilote lorsqu'il fut rappelé à Paris pour étudier, en association avec M. Ortoli, des instruments de précision; il réalisa alors notamment un remarquable jaugeur d'essence pour avion, avec renvoi par fil de soie pour lecture à distance.

Mais, si son ingéniosité et son sens mécanique trouvaient quelque satisfaction dans ces travaux, c'est à l'avion même qu'il continuait de penser, c'est à l'avion — à un avion conçu et librement exécuté par lui -- qu'il rêvait d'appliquer le principe nouveau qu'il mûrissait: la structure métallique, avec revêtements métalliques travaillants, aussi bien pour l'aile que pour le fuselage.

C'est alors que son ami M. Durand, déjà collaborateur de M. Bernard, le fit entrer à la Société Industrielle des Métaux et du Bois, dont les initiales S. I. M. B., toujours suivies de la mention licence Hubert, allaient connaître une renommée mondiale.

Tous les avions qu'il réalisa dans les ateliers de La Courneuve ont été décrits ici : monoplans monoplaces métalliques à moteurs de 3oo et 420 HP; sesquiplan monoplace, construit en bois, à. moteur de 5oo HP; avions de record V-1 et V-2; enfin l'avion de transport type 18 T que son haut rendement fit choisir pour un projet de voyage transatlantique.

La technique de ces appareils sera définie et jugée plus loin, sous une signature plus autorisée que la nôtre. Nous voulons seulement ici affirmer qu'un ingénieur comme Hubert eût fait bien plus encore pour l'aviation, française, et pour le progrès général de l'aviation, si les moyens de réalisation dont il disposait avaient correspondu aux facultés de création qui animaient son œuvre. Ce fut une vraie douleur de voir traîner trois ans sur les chantiers, pour être abandonné enfin, le splendide monoplan type 3 M totalement métallique, dont l'aile de 32m en porte à faux, calculée en 1922, était à l'avant-garde de la technique européenne; de voir abandonner aussi le grand hydravion trimoteur, type 10 T, de formes si pures.

Voici quelques semaines les ateliers de la Société Provençale, où Hubert était entré lorsque la S. I. M. B. dut fermer ses portes, lançaient la construction d'un grand monoplan métallique où était reprise et poussée plus loin l'idée technique du 3 M. C'est alors que l'accident brutal survint.

Il y a de l'amertume dans un tel destin. Jean Hubert, qui fut toujours simple, réservé, parfois réfugié dans une ironie souriante qui laissait paraître une sincère bonté, a peut-être su se défendre contre cette amertume où auraient glissé des cœurs moins grands que le sien; mais il appartient à ceux qui l'ont connu et aimé, en lui rendant hommage, de regretter — au-delà du très grand ingénieur qu'il fut — le créateur sans égal qu'il aurait pu être.

L'INGÉNIEUR, par l'ingénieur en chef P. GRIMAULT.

L'ingénieur Hubert, esprit original et inventif, avait su se faire, dans la technique aéronautique, une place tout à fait à part.

Les appareils qu'il a construits ou étudiés semblent, au premier abord, d'une grande diversité, allant de l'avion de record de vitesse au trimoteur de gros tonnage. Cependant, dans cette production considérable, il y a une remarquable unité.

D'abord, par la recherche d'une grande finesse : tous ces appareils sont des monoplans à ailes épaisses sans haubannage, où le souci de faire disparaître toute résistance inutile a été poussé au maximum. Le seul appareil qui fasse exception à cette règle est un appareil de chasse : le S.I.M.B. (licence Hubert) 14, qui était un sesquiplan, mais aussi fin que possible, car il n'avait aucun haubannage, et les mâts servaient simplement à donner à l'ensemble de la voilure une résistance convenable à la torsion, les deux ailes étant calculées séparément pour supporter les efforts normaux.

Hubert avait également porté ses études aérodynamiques sur l'augmentation d'écart de vitesse des avions, par modification de la circulation autour de l'aile. Il avait entrepris à ce sujet une série d'expériences de laboratoire des plus intéressantes, qui, malheureusement, n'avaient pu donner lieu encore à un essai sur avion; mais les résultats obtenus faisaient concevoir les plus légitimes espoirs sur l'avenir de ces recherches curieuses.

Les conceptions des charpentes de ces divers appareils, soit en bois, soit en métal, étaient guidées aussi par une idée directrice : Hubert a toujours cherché à réaliser des ailes à revêtement travaillant, constituant un ensemble aussi homogène que possible et sans matière inutile.

Pour la construction en bois, il avait conçu des sortes de planchers à larges mailles recouvertes de contreplaqué, construction utilisée particulièrement dans l'avion de record de vitesse et dans le récent Oiseau-Tango.

Pour les appareils en métal, les voilures des avions de chasse étaient constituées par une juxtaposition de cellules dont les faces inférieures et supérieures formaient les parois externes de la surface portante. Cette formule avait été étendue au grand appareil trimoteur mis sur le chantier en 1923 : la construction cellulaire était alors appliquée à l'intrados et à l'extrados des ailes, et l'ensemble formait ainsi une coque rigide.

Dans les derniers projets de Hubert, ce procédé de construction était encore perfectionné et simplifié par l'emploi de tôles d'épaisseurs décroissantes dont l'ingénieur avait conçu l'idée, et à la mise au point desquelles il avait procédé en collaboration avec les producteurs du métal, qui établirent les outillages correspondants. Ce bref aperçu suffit à montrer quelles étaient l'activité, la puissance de travail et l'originalité du très regretté Jean Hubert.

Sa mort, si prématurée et si tragique, est une lourde perte pour l'aviation française qui pouvait tant espérer de la maturité d'un ingénieur, arrêté en plein travail, dont les réalisations hardies avaient déjà donné à la France, dès 1924, un des records les plus enviés.

Sources